ESKROKAR

                       

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2014

Fiction(s)

Tentative Spoerri n°8

Toast        

L’Écume des jours

Lacrima

Milk-shake banane

Levi’s Monochrome

Tampon

 

2013

Le Tableau volé

Rubber Duck

Souffle d’artiste parfum fraise

Tissages capitalistes

Stèle

Conceptual Art

Resurection of Beauty

Ciel

 

2012

Faux Montesquieu

Cirrus

Tautologies

Cadre

Néons

Le Chef-d’œuvre inconnu

Do not Cross

Fly

 

2011

Puzzle : everything, nothing

Les Fourmis savent remonter le temps

Pomme d’Adam

Roue de VTT

La Con de Jo

Projet : Fontana - Concetto spaziale

The End

Le Seul véritable autoportrait photographique

 

2010

Le Silence

Interludes

Ne pas ouvrir, c’est un piège

Cartel 1

Caca

A True Story

3D Monochrome

Monochrome satanique

 

 

    ESKROKAR

    Escroc mais pas trop

 

    Texte de Jean-Noël Basmin

 

    À Shattrath, sanctuaire du célèbre MMORPG World of Warcraft, on trouve un vendeur de babioles appelé Eskrokar. Comme son nom le présage, il s’agit d’un escroc et ses objets, aussi séduisants qu’onéreux, ne servent strictement à rien.

    Séduisant, bien qu’inutile et hors de prix, ne serait-ce pas là une possible définition de l’objet d’art ? Art contemporain et escroquerie, le débat revient régulièrement au vu du bien-fondé de certaines œuvres dans leur rapport « qualité/prix » (comme on dit dans le jargon du commerce). Adopter ce pseudo d’Eskrokar en tant qu’artiste, c’est nécessairement vouloir interroger ce sin­gulier rapport de l’art à l’escroquerie, à savoir : en jouer, le détourner, le mettre en scène dans des situations et des dispositifs originaux, parodiques voir satiriques, parfois à la frontière de la vraie escroquerie, flirtant sur cette limite toujours labile, fuyante, ultra contextuelle.

    Ce n’est pas un hasard si Marcel Duchamp – escroc génial de l’art du XXe siècle – se trouve cité à plusieurs reprises dans l’œuvre d’Eskrokar, à commencer par cette Joconde quasiment en tout point semblable à l’originale exposée au Louvre, si ce n’est son titre : non pas L.H.O.O.Q. comme pour Duchamp, mais La Con de Jo, titre verlan pour le moins subversif, l’inversion des syllabes faisant écho à l’inversion du tableau lui-même (erreur fatale de certains livres d’art bon marché), Mona Lisa – ou devrais-je dire Namo Sali – posant désormais son regard « ailleurs », prêtant du même coup à son énigma­tique sourire une autre « raison d’être ».

    Duchamp, également, derrière ce ready-made façon XXIe siècle, citation textuelle de la pre­mière œuvre duchampienne de ce type, Roue de bicyclette (1913), constituée d’une roue métallique montée sur un tabouret en bois peint. Tandis que Duchamp choisit des objets au rebut, notre artiste sélectionne le plus « tendance » dans chacun des deux domaines convoqués, le sport et le design, donc non pas des objets d’hier, mais des actualités, disons même des « nouveautés » qui, cependant, passeront en peu de temps dans ce domaine du rebut et bien plus vite que les objets duchampiens étant donné la rapidité avec laquelle apparaît le « démodé » et l’« obsolète » dans notre société de consommation.

    Escroc, notre artiste l’est-il lorsqu’il met en vente sur le site d’enchères en ligne eBay une pomme légèrement croquée, en prétendant qu’il s’agit là de l’« authentique pomme d’Adam » et en précisant non sans humour « objet d’occasion ayant déjà servi » ? Assurément, au vu du prix ! Car ce n’est qu’une pomme, rien qu’une pomme, l’artiste n’ayant à aucun moment cherché à donner une aura de préciosité ou de mystère à son objet : « what you see is what you see ». Pourtant, ne peut-on pas envisager un collectionneur séduit, non pas au premier degré par ce qui est sensé être mis en vente, l’authentique pomme d’Adam, mais au second degré par la démarche de l’artiste, notamment cette absence d’aura de la soi-disant relique mise en vente, laquelle fait écho à la dissipation de l’aura de l’œuvre d’art dans sa médiatisation excessive, sa virtualisation et sa marchandisation.

    Cette question du « faux » et de sa valeur (esthétique et marchande) semble passionner Eskrokar au point qu’il la littéralise dans son œuvre Faux Montesquieu, laquelle consiste en un faux billet de banque retiré du marché monétaire pour intégrer le marché de l’art. Telle une allégorie, l’objet nous renvoie direc­tement à la facticité de l’art, copie de copie selon Platon. Car ce faux billet n’est-il pas au fond la « représentation réaliste » d’un vrai billet tel qu’il circulait dans la réalité, une représentation faisant illusion… jusqu’à un certain point. Cette facticité peut également évoquer les nombreuses histoires de faussaires en peinture et de ce fait, l’objet, par un étonnant retournement de situation, acquiert une aura nouvelle (que ne possède pas le vrai billet) de par son histoire : fabrication illégale, objet issu du milieu du crime, de la mafia… terreaux fertiles pour notre imaginaire (cinéma, polars, etc.).

 

   

 

    

 

    D’une manière générale, le « travail » d’Eskrokar se veut minimaliste quant aux moyens mis en œuvre pour arriver à l’objet final, l’œuvre, laquelle met souvent en relief une évidence, mais au sein d’un dispositif tel que le spectateur est invité à approfondir la réflexion dans des méandres plus subtiles. Ainsi par exemple, cette photographie intitulée Le Seul véritable autoportrait photogra­phique qui, à partir d’une réflexion primaire et certes réductive (l’appareil comme seul véritable auteur de l’image), interroge la nature et les spécificités de son médium. De même, l’objet miroir tel qu’il est mis en scène dans Do Not Cross, enrubanné d’une rubalise de police servant à délimiter une scène de crime, prend une toute autre dimension : son intériorité virtuelle (le reflet) se voit désormais suppléée par une ouverture réelle à la fois attestée et interdite par l’injonction policière, limite invisible à ne pas franchir, monde parallèle aux dangers innombrables… car en effet, que symbolise le miroir si ce n’est notre imaginaire, notre inconscient peuplé de monstres, crimes, viols et autre fantasmes pervers ?

    La fiction – prolongement du fantasme – est une autre dimension essentielle dans l’œuvre d’Eskrokar, telle qu’elle peut s’instaurer par une action simple consistant, dans une salle d’exposition entièrement vide, à scotcher sur une porte close un feuillet sur lequel est écrit « ne pas ouvrir, c’est un piège » : action minimale (tenant aussi de l’escroquerie artistique) qui interroge et met en garde directement le spectateur qui, n’ayant par ailleurs rien d’autre à se mettre sous la dent, ne peut que focaliser sur cette porte. Mais qu’y a-t-il derrière ? Une fiction s’instaure… De même, dans son installation vidéo The End, ce sont des œuvres de fiction que l’artiste s’approprie : vingt films américains noir et blanc des années 60 sont diffusés en VHS sur autant de téléviseurs, en mode pose sur le carton « The End ». Les fins dont il est question ici – fin d’une histoire, fin d’une aventure, fin d’un drame – sont mises à l’épreuve de leur support magnétique, les bandes s’usant au fil des heures/jours qui passent, jusqu’à rendre l’âme défini­tivement, une fin réelle, matérielle, se substituant ainsi à la fin de chaque fiction, les images disparaissant une à une sur les écrans au profit d’un « bruit blanc » (neige).

    La poésie enfin n’est pas en reste, toujours avec la déconcertante simplicité qui caractérise cette œuvre : pour preuve, cette petite sculpture vivante intitulée Les Fourmis savent remonter le temps. Jouant sur le code de l’objet (mesure du temps), l’artiste prouve par le fait la capa­cité de ces petites bestioles à remonter le long d’un sablier, autrement dit, si l’on s’en tient au code, à circuler du présent vers le passé. Cette simplicité inhérente à la poésie, supposant un dépouillement volontaire, Jean Cocteau l’a nommée « franchise » ou encore « loyauté ». Appliqués à un artiste ayant investi le pseudo d’un escroc, ces deux termes peuvent sembler pour le moins paradoxaux. Mais c’est précisément dans le paradoxe que s’inscrit l’œuvre d’Eskrokar. Le philosophe et logicien Bertrand Russell écrivait : « Le bon sens, quoi qu’il fasse, ne peut manquer de se laisser surprendre à l’occasion. Le but de la science est de lui épargner cette surprise et de créer des processus mentaux qui devront être en étroit accord avec le processus du monde extérieur, de façon à éviter, en tout cas, l’imprévu ». N’est-ce pas précisément l’inverse auquel invite l’art, dans sa recherche de l’imprévu, de l’insolite, de l’étrange, de l’impossible… C’est bien en tout cas à cela qu’encourage l’œuvre d’Eskrokar et qui en fait toute la « valeur ».

 

Un bon escroc est un farceur ironique qui se joue de la distraction,

de l’impertinence, de la naïveté ou de la nervosité de ses contemporains.

Henri Jeanson